Un ouvrier américain à la 1ère Fabrique de Montres de Moscou (1934) II
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Un ouvrier américain à la 1ère Fabrique de Montres de Moscou (1934) II
ORGANISER MA BRIGADE
Le directeur technique et le surintendant de l’atelier d’outillage m’ont affecté à un travail spécial et m’ont donné, pour l’accomplir, une brigade composée d’un ouvrier russe qualifié et de quatre jeunes garçons. Je suis fier de ces garçons, qui avaient entre dix-huit et vingt ans et venaient de quitter l’école technique pour travailler à l’usine. Lavrenov était un paysan qui ne parlait que le russe mais était si intelligent qu’il pouvait comprendre à partir de mon croquis et déduire ce que je voulais à dire.
Higgerovich, un petit garçon de dix-huit ans, fils d’un musicien, n’avait aucune aptitude à la mécanique mais savait écouter. A l’école, il avait appris l’allemand suffisamment pour se faire comprendre et m’était très utile comme traducteur. Volodine, un garçon de vingt ans, beau garçon blond qui était un Don Juan avec les filles, était très dévoué à sa tâche pendant les heures de travail et faisait toujours de son mieux. Puis il y avait Zbarsky, un solide garçon de la ville sur lequel on pouvait toujours compter pour faire les travaux les plus lourds. L’ouvrier russe qualifié était Chnitserov.
Eh bien, on nous a donné un plan de production à exécuter, c’est-à-dire que nous devions produire de nouveaux outils et matrices pour un montant de 7 600 roubles au cours du premier mois. J’ai commencé par faire ébaucher le travail par les garçons, puis je l’ai retouché moi-même. Je leur ai progressivement donné confiance en eux en leur montrant combien il est facile de respecter des tailles précises. Bien entendu, je les ai également mis en garde en leur montrant que la moindre erreur pouvait gâcher tout le travail.
La formation de ma brigade était un travail essentiel qui devait être effectué parallèlement à nos efforts pour honorer notre plan de production. Dans l’école technique, ces garçons avaient reçu une très bonne base. Cela ne fait aucun doute. Mais ce n’était pas suffisant pour leur permettre d’effectuer un travail pratique sur des outils, surtout d’une précision aussi absolue que la nôtre, où nous devons travailler avec des tolérances très étroites.
L’apprenti doit commencer à travailler avec une extrême précision, en utilisant dès le départ les meilleurs outils de mesure. Cela demande beaucoup d’attention de la part de l’instructeur ou du chef de brigade. La première leçon consiste à apprendre à utiliser correctement les outils de mesure, le micromètre, le pied à coulisse, les indicateurs, les rapporteurs de biseau, etc.
D’après mon expérience, les jeunes travailleurs soviétiques sont d’un e bonne étoffe, et comprennent remarquablement vite les instructions. Ils se rendent compte qu’ils doivent réussir dans toutes les tâches qui leur sont confiées. Ils savent qu’il n’y a pas de travailleurs qualifiés au chômage parmi lesquels choisir et s’adaptent donc avec toute la volonté et le zèle nécessaires à un travail donné. Ma méthode de formation consistait à faire en sorte que chacun se spécialise dans un type de travail donné, en lui donnant l’occasion de s’exercer jusqu’à ce qu’il maîtrise complètement le travail.
Ce n’est qu’en s’exerçant exactement selon les instructions qu’ils peuvent devenir compétents et bien faire le travail dans le temps le plus court possible. Une pratique correcte dès le début est absolument nécessaire et doit être soulignée.
J’ai gardé un œil sur eux et à chaque mouvement erroné, je les ai convaincus en leur montrant la bonne manière. J’insistais pour qu’ils posent des questions lorsqu’ils ne me comprenaient pas. Je les avertissais des erreurs qui risquaient de se produire et les empêchais ainsi de les commettre, ce qui réduisait les pertes au minimum. Nous rationalisions chaque travail donné en raccourcissant le processus technologique, en fabriquant des jeux d’outils supplémentaires en même temps et en mécanisant le travail manuel. Je faisais des croquis de chaque opération pour illustrer exactement chaque étape qu’ils devaient suivre. Ces croquis étaient conservés dans mon dossier et utilisés plus tard pour faire des dessins réguliers. Ils ont également aidé les garçons à me comprendre et à avoir confiance dans leur travail. Le choix de l’acier était un autre élément qui contribuait à la fabrication d’outils plus durables. Nous tenions un registre du traitement thermique pour chaque détail. Un contrôle systématique de tous les outils était possible grâce à ces registres, et toute duplication nécessaire d’un outil ou d’une matrice pouvait être faite sans perte de temps.
Tout cela a aidé ma brigade à rivaliser avec d’autres brigades et à améliorer ses anciennes tâches.
Nous nous sommes donc attaqués à notre plan de production et, tout bien considéré, je n’étais pas mécontent de nos progrès, bien que seulement 65 % du travail qui nous avait été assigné ait été réalisé au cours de ce premier mois. J’ai réuni mes gars et leur ai lancé un appel à la camaraderie. Je leur ai montré tout le travail gâché que j’avais soigneusement collecté au cours du mois et gardé sous clé dans mon tiroir. Chacun a reconnu son propre travail. Je leur ai demandé d’expliquer chaque travail, pourquoi et comment il avait été gâché, et j’ai vérifié s’ils disaient la vérité.
Aucun des garçons n’avait peur de dire la vérité, même si cela parlait contre lui. Je leur ai fait regretter le travail du premier mois. Cependant, nous étions tous d’accord pour dire que le deuxième mois devait montrer une amélioration très considérable. Ce n’était pas tout. Nous avons ajouté 35 % du travail inachevé à notre plan de production du deuxième mois, et je suis fier de dire que nous l’avons mené à bien. Mais, vous pouvez en être sûrs, nous avons dû prendre le taureau par les cornes pour y parvenir.
Mes gars étaient de bons camarades, sérieux et volontaires. Ils avaient une grande estime pour mes compétences et voulaient savoir quel rôle je comptais jouer dans la construction socialiste.
Nous avons discuté de nombreux événements politiques après les heures de travail. Ils voulaient en savoir plus sur la jeunesse américaine et les conditions de travail en Amérique. Je leur ai donné quelques adresses de jeunes travailleurs américains et ils ont correspondu pour obtenir des informations de première main. Le petit Higgerovich était le plus actif d’entre eux. Il était aussi mon traducteur quand c’était nécessaire et me comprenait toujours parfaitement. Au début, lorsque j’ai commencé à travailler dans cette usine, on m’a donné un interprète qui parlait couramment l’anglais. Mais il était trop désireux d’utiliser un langage meilleur que celui qu’on lui parlait et nous avons commis des maladresses intolérables. J’ai donc utilisé Higgerovich à la place et nous nous sommes bien entendus.
En faisant tous les efforts possibles, nous avons terminé le plan d’avril à 100 %, y compris les 35 % qui restaient du mois de mars, et nous étions donc prêts pour le 1er mai, qui est le plus grand de tous les jours fériés internationaux.
Nous avions encore deux jours pour préparer le plan de production du mois de mai, que nous avions reçu quelques jours à l’avance. Après deux mois d’entraînement, on pouvait compter sur mes garçons pour un vrai travail. Nous considérions donc que la norme de production fixée pour notre brigade était à la fois trop basse et d’un coût trop élevé. Nous avons donc élaboré un contre-projet et avons décidé de le mettre en œuvre. Notre plan devait coûter 2 000 roubles de moins à l’usine.
JE DEVIENS UN OUDARNIK
Lors d’une réunion générale de production de l’usine, j’ai été recommandé comme oudarnik par mon département du comité syndical. Cela nécessite quelques explications. Les réunions de production, comme on les appelle, sont une phase du travail propre à l’Union soviétique. Chaque usine et chaque atelier, chaque établissement commercial, tient ces réunions à des intervalles divers, une fois par mois et même plus fréquemment, pour discuter des problèmes du travail, des problèmes de production. Les ouvriers et l’administration assistent à ces réunions. Les différentes questions concernant le travail, sa qualité et sa quantité, la discipline du travail, les insuffisances de l’administration ou des ouvriers, sont débattues avec une rigueur et une franchise qui ne sont possibles que dans un pays soviétique où les ouvriers sont leurs propres maîtres.
Les oudarniks sont également une caractéristique propre à cette république ouvrière. Ce mot est issu d’un mot russe qui signifie « un choc ». Et je peux vous dire que ces oudarniks ou « ouvriers de chocs » soviétiques sont les travailleurs les plus vigoureux et les plus enthousiastes du monde. Ils sont les meilleurs et les plus consciencieux dans une usine. Ils donnent le rythme aux autres ouvriers en matière de production, tout en veillant à la qualité et en essayant de l’améliorer. Ils se regroupent en brigades de choc et se défient mutuellement dans une compétition socialiste, les départements défiant les départements, les usines défiant les usines et même les industries défiant les industries. Le mouvement des brigades de choc s’est répandu dans toute l’Union soviétique et, à une telle échelle, les résultats sont colossaux. C’est principalement grâce aux efforts des travailleurs de choc que le grand plan quinquennal a été achevé en quatre ans au lieu de cinq.
J’ai été surpris et flatté d’être nommé oudarnik car je n’y avais pas pensé. Je suis venu ici pour faire de mon mieux et aider tout ce que je pouvais. Je trouvais mon département en retard et faisant du mauvais travail. Je voulais réparer tout ça et en faire quelque chose dont on puisse être fier. J’ai fait de mon mieux avec mes garçons et, bien sûr, j’ai travaillé dur, mais seulement en tant qu’ouvrier intéressé par son travail.
Quoi qu’il en soit, en guise de reconnaissance, on m’a remis un livret d’oudarnik qui me donnait certains privilèges. Par exemple, je pouvais acheter un costume, une paire de chaussures supplémentaire ou tout ce dont j’avais besoin au prix du matériel et de la main-d’œuvre. En plus de cela, il y avait l’honneur que les ouvriers accordent aux oudarniks, la haute estime dans laquelle mon département, l’usine et surtout mes garçons me tenaient.
C’est vers la fin du mois d’avril que j’ai demandé un billet pour assister à la manifestation du 1er mai sur la Place Rouge. Je me rends compte maintenant que ma demande était une grosse commande à un moment aussi tardif. Il y a tant de délégations étrangères qui apportent à l’Union soviétique les salutations des travailleurs de leurs pays respectifs et tant de délégués des usines à accueillir, que les billets sont rares. Mais le président du comité de notre usine a réussi et j’ai été l’un des deux mille chanceux à monter sur la tribune de la Place Rouge, près du majestueux mausolée de Lénine.
Inutile de dire que le 1er mai, je m’étais levé, j’avais passé les cordons de la milice et j’étais très tôt à ma place.
À neuf heures moins le quart à l’horloge du Kremlin, Staline s’est approché lentement du point de revue, au pied de la tombe de Lénine, où se tenaient les membres les plus éminents du Parti communiste et du gouvernement soviétique. C’est un bel homme, grand, à l’allure intrépide. Un homme au sourire bon enfant. Je me tenais à quelques pas de lui.
À neuf heures, le carillon du Kremlin a ouvert la célébration. Le chef de l’Armée rouge, Vorochilov, le mécanicien unique de Lougansk, a passé en revue les forces massées sur la place. Quel beau spectacle que cette première ligne de défense de l’Union soviétique et du socialisme ! Cela vous donnait un tel sentiment de la force des travailleurs. Puis vinrent les travailleurs eux-mêmes, un merveilleux défilé de bannières rouges et or, des ouvriers armés, des flots sans fin traversant la place avec leurs fanfares, applaudissant, dansant, chantant. Des nuages d’avions au-dessus. Chaque usine était représentée par de nombreuses bannières et slogans et par des banderoles indiquant dans quelle mesure elle avait réalisé son plan. C’était le jour le plus remarquable de ma vie. Je n’ai jamais vu une masse de travailleurs aussi heureuse, aussi enthousiaste, aussi forte et saine. Hommes, femmes, filles, garçons, enfants, parfois même des bébés, étaient dans la ligne de marche.
L’une des caractéristiques de la grande procession était la vente de scènes érigées sur de grands camions et les représentations qui y étaient données par des artistes des théâtres de Moscou chaque fois que la procession s’arrêtait.
De temps en temps, je regardais Staline. Il était là toute la journée, de 8 h 45 à 18 h, heure à laquelle la manifestation géante s’est terminée. Je l’ai estimée à deux millions de personnes !
Cette fête des travailleurs dure deux jours. J’ai eu du mal à trouver la patience d’attendre jusqu’au 3 mai pour reprendre le travail et raconter à mes garçons la grande impression que la fête du 1er mai m’avait faite.
UNE RÉUNION DE PRODUCTION AVEC MA BRIGADE
Les gars m’ont salué avec enthousiasme et m’ont serré la main en guise de bienvenue lorsque je suis entré au travail. À midi, après le déjeuner, j’ai convoqué une réunion de ma brigade et leur ai fait comprendre que nous devions maintenant exécuter notre nouveau contre-plan avec une énergie redoublée. Ils étaient d’accord avec moi et ont été très heureux lorsque je leur ai dit que je proposais d’adopter des méthodes d’instruction plus avancées. Voici les principales sugges tions que nous avons élaborées ensemble :
1) Démonstration pratique sur le tas.
2) Chaque travailleur doit remplir sa tâche. Petite ou grande, elle ne doit pas être laissée inachevée.
3) Augmenter notre discipline et charger chaque jeune travailleur de plus en plus de responsabilités.
4) Spécialiser le travail, en donnant des tâches avec des opérations similaires à un jeune travailleur.
5) Encourager la rationalisation de chaque opération.
6) Dessiner à main levée chaque détail et expliquer le processus technologique jusqu’à ce que le jeune travailleur le comprenne parfaitement.
7) Encourager la pensée indépendante et les suggestions. Encourager les questions.
Ne pas donner des instructions de façon mécanique mais les faire passer pour des conseils amicaux.
9) Après les heures de travail, discuter des erreurs et du travail gâché avec le plus grand nombre possible de personnes ; inviter les travailleurs des autres brigades à ces discussions.
10) S’en prendre durement à toute répétition d’erreurs.
J’ajouterai que les illustrations tirées des revues techniques modernes ont beaucoup contribué à clarifier les choses pour mes garçons et les ont aidés à visualiser les mouvements techniques.
Grâce à la réussite de notre programme de mai, mes garçons ont acquis une telle confiance en eux que plus rien ne leur semblait impossible.
NOUS AVONS FAIT UNE PAUSE
À cette époque, ma brigade était réputée et était souvent appelée à aider les autres brigades de notre département. Mes gars répondaient comme de vrais oudarniks. Tout allait bien pour nous jusqu’à ce que le directeur ait l’idée de nous déplacer dans un autre coin de l’atelier parce que, disait-il, il avait besoin de cet espace pour des travaux spéciaux. Cela a eu un effet paralysant sur mes garçons qui avaient pris l’habitude de travailler dans l’ancien endroit où la lumière était bonne. Nous voulions beaucoup de lumière pour notre type de travail. Toutes mes discussions ont été inutiles. Ma plainte auprès du directeur était également vaine. J’ai donc eu pour tâche de réorganiser à nouveau. Les garçons ont râlé ; c’était comme les mettre dans une autre usine. Pour moi, ce n’était pas si important. Nous avons perdu beaucoup de temps et il nous a fallu environ deux semaines pour redémarrer correctement. J’ai essayé de m’adapter au nouveau coin et j’ai encouragé les garçons à faire de même, mais notre production est tombée à 60 et 68 % de notre plan pour juin et juillet. En août, nous avons fait mieux, mais nous n’avons pas atteint les 100 % avant septembre. C’était une interférence mauvaise et inutile. Les garçons, qui étaient si enthousiastes et essayaient de faire de leur mieux, ont baissés.
Le directeur technique et le surintendant de l’atelier d’outillage m’ont affecté à un travail spécial et m’ont donné, pour l’accomplir, une brigade composée d’un ouvrier russe qualifié et de quatre jeunes garçons. Je suis fier de ces garçons, qui avaient entre dix-huit et vingt ans et venaient de quitter l’école technique pour travailler à l’usine. Lavrenov était un paysan qui ne parlait que le russe mais était si intelligent qu’il pouvait comprendre à partir de mon croquis et déduire ce que je voulais à dire.
Higgerovich, un petit garçon de dix-huit ans, fils d’un musicien, n’avait aucune aptitude à la mécanique mais savait écouter. A l’école, il avait appris l’allemand suffisamment pour se faire comprendre et m’était très utile comme traducteur. Volodine, un garçon de vingt ans, beau garçon blond qui était un Don Juan avec les filles, était très dévoué à sa tâche pendant les heures de travail et faisait toujours de son mieux. Puis il y avait Zbarsky, un solide garçon de la ville sur lequel on pouvait toujours compter pour faire les travaux les plus lourds. L’ouvrier russe qualifié était Chnitserov.
Eh bien, on nous a donné un plan de production à exécuter, c’est-à-dire que nous devions produire de nouveaux outils et matrices pour un montant de 7 600 roubles au cours du premier mois. J’ai commencé par faire ébaucher le travail par les garçons, puis je l’ai retouché moi-même. Je leur ai progressivement donné confiance en eux en leur montrant combien il est facile de respecter des tailles précises. Bien entendu, je les ai également mis en garde en leur montrant que la moindre erreur pouvait gâcher tout le travail.
La formation de ma brigade était un travail essentiel qui devait être effectué parallèlement à nos efforts pour honorer notre plan de production. Dans l’école technique, ces garçons avaient reçu une très bonne base. Cela ne fait aucun doute. Mais ce n’était pas suffisant pour leur permettre d’effectuer un travail pratique sur des outils, surtout d’une précision aussi absolue que la nôtre, où nous devons travailler avec des tolérances très étroites.
L’apprenti doit commencer à travailler avec une extrême précision, en utilisant dès le départ les meilleurs outils de mesure. Cela demande beaucoup d’attention de la part de l’instructeur ou du chef de brigade. La première leçon consiste à apprendre à utiliser correctement les outils de mesure, le micromètre, le pied à coulisse, les indicateurs, les rapporteurs de biseau, etc.
D’après mon expérience, les jeunes travailleurs soviétiques sont d’un e bonne étoffe, et comprennent remarquablement vite les instructions. Ils se rendent compte qu’ils doivent réussir dans toutes les tâches qui leur sont confiées. Ils savent qu’il n’y a pas de travailleurs qualifiés au chômage parmi lesquels choisir et s’adaptent donc avec toute la volonté et le zèle nécessaires à un travail donné. Ma méthode de formation consistait à faire en sorte que chacun se spécialise dans un type de travail donné, en lui donnant l’occasion de s’exercer jusqu’à ce qu’il maîtrise complètement le travail.
Ce n’est qu’en s’exerçant exactement selon les instructions qu’ils peuvent devenir compétents et bien faire le travail dans le temps le plus court possible. Une pratique correcte dès le début est absolument nécessaire et doit être soulignée.
J’ai gardé un œil sur eux et à chaque mouvement erroné, je les ai convaincus en leur montrant la bonne manière. J’insistais pour qu’ils posent des questions lorsqu’ils ne me comprenaient pas. Je les avertissais des erreurs qui risquaient de se produire et les empêchais ainsi de les commettre, ce qui réduisait les pertes au minimum. Nous rationalisions chaque travail donné en raccourcissant le processus technologique, en fabriquant des jeux d’outils supplémentaires en même temps et en mécanisant le travail manuel. Je faisais des croquis de chaque opération pour illustrer exactement chaque étape qu’ils devaient suivre. Ces croquis étaient conservés dans mon dossier et utilisés plus tard pour faire des dessins réguliers. Ils ont également aidé les garçons à me comprendre et à avoir confiance dans leur travail. Le choix de l’acier était un autre élément qui contribuait à la fabrication d’outils plus durables. Nous tenions un registre du traitement thermique pour chaque détail. Un contrôle systématique de tous les outils était possible grâce à ces registres, et toute duplication nécessaire d’un outil ou d’une matrice pouvait être faite sans perte de temps.
Tout cela a aidé ma brigade à rivaliser avec d’autres brigades et à améliorer ses anciennes tâches.
Nous nous sommes donc attaqués à notre plan de production et, tout bien considéré, je n’étais pas mécontent de nos progrès, bien que seulement 65 % du travail qui nous avait été assigné ait été réalisé au cours de ce premier mois. J’ai réuni mes gars et leur ai lancé un appel à la camaraderie. Je leur ai montré tout le travail gâché que j’avais soigneusement collecté au cours du mois et gardé sous clé dans mon tiroir. Chacun a reconnu son propre travail. Je leur ai demandé d’expliquer chaque travail, pourquoi et comment il avait été gâché, et j’ai vérifié s’ils disaient la vérité.
Aucun des garçons n’avait peur de dire la vérité, même si cela parlait contre lui. Je leur ai fait regretter le travail du premier mois. Cependant, nous étions tous d’accord pour dire que le deuxième mois devait montrer une amélioration très considérable. Ce n’était pas tout. Nous avons ajouté 35 % du travail inachevé à notre plan de production du deuxième mois, et je suis fier de dire que nous l’avons mené à bien. Mais, vous pouvez en être sûrs, nous avons dû prendre le taureau par les cornes pour y parvenir.
Mes gars étaient de bons camarades, sérieux et volontaires. Ils avaient une grande estime pour mes compétences et voulaient savoir quel rôle je comptais jouer dans la construction socialiste.
Nous avons discuté de nombreux événements politiques après les heures de travail. Ils voulaient en savoir plus sur la jeunesse américaine et les conditions de travail en Amérique. Je leur ai donné quelques adresses de jeunes travailleurs américains et ils ont correspondu pour obtenir des informations de première main. Le petit Higgerovich était le plus actif d’entre eux. Il était aussi mon traducteur quand c’était nécessaire et me comprenait toujours parfaitement. Au début, lorsque j’ai commencé à travailler dans cette usine, on m’a donné un interprète qui parlait couramment l’anglais. Mais il était trop désireux d’utiliser un langage meilleur que celui qu’on lui parlait et nous avons commis des maladresses intolérables. J’ai donc utilisé Higgerovich à la place et nous nous sommes bien entendus.
En faisant tous les efforts possibles, nous avons terminé le plan d’avril à 100 %, y compris les 35 % qui restaient du mois de mars, et nous étions donc prêts pour le 1er mai, qui est le plus grand de tous les jours fériés internationaux.
Nous avions encore deux jours pour préparer le plan de production du mois de mai, que nous avions reçu quelques jours à l’avance. Après deux mois d’entraînement, on pouvait compter sur mes garçons pour un vrai travail. Nous considérions donc que la norme de production fixée pour notre brigade était à la fois trop basse et d’un coût trop élevé. Nous avons donc élaboré un contre-projet et avons décidé de le mettre en œuvre. Notre plan devait coûter 2 000 roubles de moins à l’usine.
JE DEVIENS UN OUDARNIK
Lors d’une réunion générale de production de l’usine, j’ai été recommandé comme oudarnik par mon département du comité syndical. Cela nécessite quelques explications. Les réunions de production, comme on les appelle, sont une phase du travail propre à l’Union soviétique. Chaque usine et chaque atelier, chaque établissement commercial, tient ces réunions à des intervalles divers, une fois par mois et même plus fréquemment, pour discuter des problèmes du travail, des problèmes de production. Les ouvriers et l’administration assistent à ces réunions. Les différentes questions concernant le travail, sa qualité et sa quantité, la discipline du travail, les insuffisances de l’administration ou des ouvriers, sont débattues avec une rigueur et une franchise qui ne sont possibles que dans un pays soviétique où les ouvriers sont leurs propres maîtres.
Les oudarniks sont également une caractéristique propre à cette république ouvrière. Ce mot est issu d’un mot russe qui signifie « un choc ». Et je peux vous dire que ces oudarniks ou « ouvriers de chocs » soviétiques sont les travailleurs les plus vigoureux et les plus enthousiastes du monde. Ils sont les meilleurs et les plus consciencieux dans une usine. Ils donnent le rythme aux autres ouvriers en matière de production, tout en veillant à la qualité et en essayant de l’améliorer. Ils se regroupent en brigades de choc et se défient mutuellement dans une compétition socialiste, les départements défiant les départements, les usines défiant les usines et même les industries défiant les industries. Le mouvement des brigades de choc s’est répandu dans toute l’Union soviétique et, à une telle échelle, les résultats sont colossaux. C’est principalement grâce aux efforts des travailleurs de choc que le grand plan quinquennal a été achevé en quatre ans au lieu de cinq.
J’ai été surpris et flatté d’être nommé oudarnik car je n’y avais pas pensé. Je suis venu ici pour faire de mon mieux et aider tout ce que je pouvais. Je trouvais mon département en retard et faisant du mauvais travail. Je voulais réparer tout ça et en faire quelque chose dont on puisse être fier. J’ai fait de mon mieux avec mes garçons et, bien sûr, j’ai travaillé dur, mais seulement en tant qu’ouvrier intéressé par son travail.
Quoi qu’il en soit, en guise de reconnaissance, on m’a remis un livret d’oudarnik qui me donnait certains privilèges. Par exemple, je pouvais acheter un costume, une paire de chaussures supplémentaire ou tout ce dont j’avais besoin au prix du matériel et de la main-d’œuvre. En plus de cela, il y avait l’honneur que les ouvriers accordent aux oudarniks, la haute estime dans laquelle mon département, l’usine et surtout mes garçons me tenaient.
C’est vers la fin du mois d’avril que j’ai demandé un billet pour assister à la manifestation du 1er mai sur la Place Rouge. Je me rends compte maintenant que ma demande était une grosse commande à un moment aussi tardif. Il y a tant de délégations étrangères qui apportent à l’Union soviétique les salutations des travailleurs de leurs pays respectifs et tant de délégués des usines à accueillir, que les billets sont rares. Mais le président du comité de notre usine a réussi et j’ai été l’un des deux mille chanceux à monter sur la tribune de la Place Rouge, près du majestueux mausolée de Lénine.
Inutile de dire que le 1er mai, je m’étais levé, j’avais passé les cordons de la milice et j’étais très tôt à ma place.
À neuf heures moins le quart à l’horloge du Kremlin, Staline s’est approché lentement du point de revue, au pied de la tombe de Lénine, où se tenaient les membres les plus éminents du Parti communiste et du gouvernement soviétique. C’est un bel homme, grand, à l’allure intrépide. Un homme au sourire bon enfant. Je me tenais à quelques pas de lui.
À neuf heures, le carillon du Kremlin a ouvert la célébration. Le chef de l’Armée rouge, Vorochilov, le mécanicien unique de Lougansk, a passé en revue les forces massées sur la place. Quel beau spectacle que cette première ligne de défense de l’Union soviétique et du socialisme ! Cela vous donnait un tel sentiment de la force des travailleurs. Puis vinrent les travailleurs eux-mêmes, un merveilleux défilé de bannières rouges et or, des ouvriers armés, des flots sans fin traversant la place avec leurs fanfares, applaudissant, dansant, chantant. Des nuages d’avions au-dessus. Chaque usine était représentée par de nombreuses bannières et slogans et par des banderoles indiquant dans quelle mesure elle avait réalisé son plan. C’était le jour le plus remarquable de ma vie. Je n’ai jamais vu une masse de travailleurs aussi heureuse, aussi enthousiaste, aussi forte et saine. Hommes, femmes, filles, garçons, enfants, parfois même des bébés, étaient dans la ligne de marche.
L’une des caractéristiques de la grande procession était la vente de scènes érigées sur de grands camions et les représentations qui y étaient données par des artistes des théâtres de Moscou chaque fois que la procession s’arrêtait.
De temps en temps, je regardais Staline. Il était là toute la journée, de 8 h 45 à 18 h, heure à laquelle la manifestation géante s’est terminée. Je l’ai estimée à deux millions de personnes !
Cette fête des travailleurs dure deux jours. J’ai eu du mal à trouver la patience d’attendre jusqu’au 3 mai pour reprendre le travail et raconter à mes garçons la grande impression que la fête du 1er mai m’avait faite.
UNE RÉUNION DE PRODUCTION AVEC MA BRIGADE
Les gars m’ont salué avec enthousiasme et m’ont serré la main en guise de bienvenue lorsque je suis entré au travail. À midi, après le déjeuner, j’ai convoqué une réunion de ma brigade et leur ai fait comprendre que nous devions maintenant exécuter notre nouveau contre-plan avec une énergie redoublée. Ils étaient d’accord avec moi et ont été très heureux lorsque je leur ai dit que je proposais d’adopter des méthodes d’instruction plus avancées. Voici les principales sugges tions que nous avons élaborées ensemble :
1) Démonstration pratique sur le tas.
2) Chaque travailleur doit remplir sa tâche. Petite ou grande, elle ne doit pas être laissée inachevée.
3) Augmenter notre discipline et charger chaque jeune travailleur de plus en plus de responsabilités.
4) Spécialiser le travail, en donnant des tâches avec des opérations similaires à un jeune travailleur.
5) Encourager la rationalisation de chaque opération.
6) Dessiner à main levée chaque détail et expliquer le processus technologique jusqu’à ce que le jeune travailleur le comprenne parfaitement.
7) Encourager la pensée indépendante et les suggestions. Encourager les questions.
Ne pas donner des instructions de façon mécanique mais les faire passer pour des conseils amicaux.
9) Après les heures de travail, discuter des erreurs et du travail gâché avec le plus grand nombre possible de personnes ; inviter les travailleurs des autres brigades à ces discussions.
10) S’en prendre durement à toute répétition d’erreurs.
J’ajouterai que les illustrations tirées des revues techniques modernes ont beaucoup contribué à clarifier les choses pour mes garçons et les ont aidés à visualiser les mouvements techniques.
Grâce à la réussite de notre programme de mai, mes garçons ont acquis une telle confiance en eux que plus rien ne leur semblait impossible.
NOUS AVONS FAIT UNE PAUSE
À cette époque, ma brigade était réputée et était souvent appelée à aider les autres brigades de notre département. Mes gars répondaient comme de vrais oudarniks. Tout allait bien pour nous jusqu’à ce que le directeur ait l’idée de nous déplacer dans un autre coin de l’atelier parce que, disait-il, il avait besoin de cet espace pour des travaux spéciaux. Cela a eu un effet paralysant sur mes garçons qui avaient pris l’habitude de travailler dans l’ancien endroit où la lumière était bonne. Nous voulions beaucoup de lumière pour notre type de travail. Toutes mes discussions ont été inutiles. Ma plainte auprès du directeur était également vaine. J’ai donc eu pour tâche de réorganiser à nouveau. Les garçons ont râlé ; c’était comme les mettre dans une autre usine. Pour moi, ce n’était pas si important. Nous avons perdu beaucoup de temps et il nous a fallu environ deux semaines pour redémarrer correctement. J’ai essayé de m’adapter au nouveau coin et j’ai encouragé les garçons à faire de même, mais notre production est tombée à 60 et 68 % de notre plan pour juin et juillet. En août, nous avons fait mieux, mais nous n’avons pas atteint les 100 % avant septembre. C’était une interférence mauvaise et inutile. Les garçons, qui étaient si enthousiastes et essayaient de faire de leur mieux, ont baissés.
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